En Orcie, la saison des grands froids s'était installée précipitamment et bien plus rapidement que les années précédentes. La région de Khal-maresh était particulièrement recouverte par de grandes quantités de neige et dans la capitale, le commandant Braniek avait dépêché un nombre important de ses guerriers afin de procéder au déblaiement des routes et des sentiers environnants.

 

   Désireux d'en connaître un peu plus sur l'identité des jeunes gens que sa soeur avait ramenés du Pays des Ombres, Braniek avait décidé de se rendre chez Oumma afin de personnellement interroger ceux-ci. Mis en présence du commandant de l'armée orque, les frères et les soeurs de Bertrand, quelque peu effrayés, ne surent quelle attitude prendre et regardèrent Oumma avec inquiétude en voyant le géant qui se tenait devant eux et qui les regardait d'un air inquisiteur. Oumma, voyant la peur qui se lisait dans les yeux des jeunes gens se mit à les rassurer :

 

   - Ne craignez rien. Mon frère Braniek désire simplement vous interroger sur la raison de votre présence ici.

 

   - En effet, commença le commandant en s'adressant à Cédric sans aucune animosité, toi qui me paraît le plus âgé de vous quatre, j'aimerais que tu me donnes certaines explications. Qui êtes-vous, d'où venez vous et pourquoi vous a-t-on amenés ici ?

 

   Rassuré par le ton presque amical utilisé par le frère d'Oumma, le fils de Manon, après un petit moment d'hésitation, se décida à répondre :

 

   - Mon nom est Cédric, et voici mon frère Lothaire ainsi que mes soeurs Aliénor et Gwendolyn. Nous sommes les enfants de paysans de la région d'Ilos en Meruvia. A la mort de notre père qui est décédé depuis bien longtemps déjà, notre mère est partie s'installer dans la cité d'Ixos. Nous avons été fait prisonniers par le duc de Roncenoir qui nous a ensuite transférés en Ombrie, sous la garde de la magicienne Zylnyel.

 

   Tout en écoutant attentivement les paroles de Cedric, Braniek regardait celui-ci d'un air sceptique. Il répondit :

 

   - Je suis étonné... oui je suis étonné que le duc de Roncenoir s'en soit pris à vous, vous qui n'êtes encore pratiquement que des enfant !? Quelle était donc la raison de votre arrestation... Faut-il que vous soyez diablement importants pour que le duc s'intéresse à vous avec autant d'opiniâtreté ? Vous êtes enfants de paysans, dis-tu ? Il manque quelque chose à ton histoire, et ce ''quelque chose'' c'est POURQUOI. Oui, pourquoi Norbert de Roncenoir s'intéresserait-il à des jeunes gens sans importance si il n'y avait pas une raison majeure à cela. Je connais le duc car je suis son ennemi, il ne fait jamais rien sans bonne raison ou si ce n'est pour servir ses propres intérêts... Alors, quel est ce mystère qui vous entoure, de quel secret êtes vous détenteurs !?

 

   Cédric réfléchissait. Que savait-il au juste ? Le jeune homme n'était même pas au fait que sa demi soeur Roswyn n'était autre que la légitime héritière du trône de Meruvia ! Il lui vint cependant une idée, il expliqua que son frère aîné Bertrand, avait été un officier du duc mais qu'il l'avait trahi avant de rejoindre la cité d'Ixos. Cette nouvelle sembla satisfaire Braniek qui répondit :

 

   - Je suis heureux d'apprendre que ton frère est l'ennemi de mon ennemi. J'ai aussi appris que vous aviez été remis à Zylniel dans le Pays des Ombres. Cette magicienne m'a sauvé la vie en me concoctant une potion de guérison alors que j'avais absorbé un poison vicieux agissant très lentement. Je lui en suis redevable et je compte me rendre en Ombrie pour la remercier personnellement, mais vous, que faisiez-vous chez elle, pourquoi le duc vous y avait-il envoyés ?

 

   Mis un peu plus à l'aise par le ton que prenait la conversation, Cédric répondit sans crainte aucune :

 

   - Je l'ignore. Tout ce que je peux vous dire est que malgré les ordres reçus par la reine des Ombres de nous garder prisonniers, celle-ci, comment dire... s'est prise d'affection pour nous. Avec le temps j'ai pu gagner sa confiance et elle m'a même nommé commandant à la tête de ses troupes. Nous avons eu à repousser une invasion gobeline et...

 

   Braniek coupa brusquement la parole au fils de Manon :

 

   - Ainsi donc, c'est toi qui a repoussé l'armée d'Ishtouk !? J'avais entendu dire qu'un jeune Meruvien avait stoppé une attaque des Gobelins à la frontière Ouest de l'Orcie ! J'étais cependant loin de me douter que c'était toi qui avait réalisé un tel exploit !? Tu commences par m'intéresser mon garçon, je ne sais pas encore ce que je vais faire de vous mais en attendant que Zylnyel me donne des informations précises vous concernant, vous resterez ici et serez bien traités.

 

   A ce moment, un éclaireur orque se faisait introduire dans la demeure d'Oumma, porteur d'une importante nouvelle. Tous apprirent ainsi que la reine des Ombres, qui s'était rendue à Ethyria, était retenue prisonnière par le duc de Roncenoir et avait été jetée dans un cachot de la tour noire.

 

   Ils reçurent la nouvelle comme un coup de massue. Braniek était furieux, en un rien de temps le ton de ses paroles avait changé et maintenant il pestait et maudissait le duc pour la bassesse que celui-ci pouvait afficher.

 

   - Par Kalush, hurla-t-il, et moi qui voulais aller rendre visite à cette reine pour la remercier de m'avoir guéri ! Maudit soit ce faux-roi qui règne à Ethyria... Que faire maintenant, je ne peux quand-même pas traverser tout Meruvia avec mon armée pour aller délivrer la magicienne !

 

   Puis, se tournant vers les frères et soeurs de Bertrand, il leur dit sur un ton ferme :

 

   - Quant à vous, vous resterez ici et ne sortirez pas de cette demeure. Il me faut trouver un plan pour sortir la femme qui m'a sauvé la vie des griffes de Norbert de Roncenoir !

 

   C'est alors que Cédric, qui réfléchissait à cette situation nouvelle, eut une idée de génie. Interrompant le commandant orque, il lui dit :

   - Il existe un moyen de sauver la reine sans que nul de vos guerriers n'intervienne, je sais comment faire.

 

   Surpris par les paroles du jeune homme, Braniek le regarda d'un air incrédule. Ce fut Oumma qui demanda :

 

   - Et quel est ce moyen dont tu parles, explique-toi !

 

   - Cela est simple, assura le frère de Bertrand. Pour pouvoir me donner le commandement de son armée, Zylnyel a dû m'apprendre à communiquer avec ses Ombres. Je ne peux malheureusement pas leur parler ni les comprendre actuellement car je ne suis trop loin d'eux. Cette communication est possible dans toute l'Ombrie sans restriction de distance et à l'extérieur du pays pour autant que je sois dans une zone relativement proche d'eux. Mon idée est de vous demander de me permettre de retourner en Ombrie et, à l'aide d'un petit groupe de ces guerriers, partir vers Ethyria où, en essayant de ne pas nous faire remarquer, nous puissions sortir Zylnyel de la tour noire et la ramener soit ici soit dans son pays. Qu'en pensez-vous ?

 

   Braniek et Oumma restèrent bouche bée, ne sachant dans un premier temps quoi répondre. Le premier, le commandant orque rompit le silence qui s'était abattu dans la pièce.

 

   - Ainsi, tu penses qu'avec une poignée d'Ombres, tu serais capable d'aller délivrer la magicienne ? Ce pari est risqué et très téméraire mais soit, tu as prouvé ta valeur dans l'armée de Zylnyel. Je ne vois donc pas d'autre moyen d'y parvenir et je ne veux pas impliquer mes guerriers dans cette aventure. Je te ferai donc confiance mais je te préviens, ton frère et tes soeurs resteront ici jusqu'à ton retour. Jusque là ils seront bien traités et resteront sous la garde de ma soeur. Demain matin quelques uns de mes guerriers te conduiront au pays de Zylnyel où tu pourras recruter tes Ombres nécessaires à l'accomplissement de ta folle aventure. Maintenant vas te reposer car le voyage que tu vas faire sera très difficile, ma soeur Oumma t'aidera à préparer des vêtements nécessaires pour affronter le froid excessif qui règne actuellement au dehors. Puisse le dieu Kalush t'aider dans cette tâche.

 

   Quelque instants plus tard, les jeunes gens se retrouvaient seuls dans leur chambre de la chaumière d'Oumma. La jeune Gwendolyn pleurait à chaudes larmes et essayait en vain de dissuader son frère d'effectuer ce périple.

 

   - Jusqu'ici nous n'avons jamais été séparés, dit-elle. Tu as été notre soutien et notre guide tout au long de nos malheurs. Qu'allons-nous faire sans toi maintenant, et si tu ne revenais jamais, si tu te faisais tuer au cours de ton voyage, que deviendrions nous ?

 

   - Et c'est encore pour cette Zylnyel que tu fais tout cela, surenchérit Aliénor. Il faut croire que cette femme t'a ensorcelé pour que tu ne puisses ainsi te détacher d'elle ? Qu'as-tu à gagner dans cette aventure, et nous, est-ce que tu penses à nous ?

 

   Lothaire, qui écoutait les jérémiades de ses soeurs, intervint à son tour :

 

   - Taisez-vous donc, toutes les deux ! Notre frère Cédric n'a jamais agi sans bonne raison et je suis certain que s' il a proposé cette idée à Braniek c'est parce qu'il doit avoir une autre idée derrière la tête. Est-ce que je me trompe, Cédric ?

 

   - C'est exact, répondit le jeune homme. Une fois en Meruvia, j'essayerai d'entrer en contact avec notre mère ou avec Bertrand. Nous ferons alors tout notre possible pour vous sortir d'ici mais auparavant je dois faire preuve de bonne volonté envers Braniek. Si j'arrive à sortir Zylnyel de sa prison d'Ethyria, le commandant orque sera sans doute de meilleure composition à notre égard.

 

   Devant ces arguments du fils de Manon ainsi présentés, les deux soeurs se calmèrent et réitérèrent toute leur confiance à leur frère. En fin de journée, Oumma vint aider Cédric à préparer ses affaires en vue du voyage.

 

   Le lendemain matin, le fils de Manon quittait Khal-maresh en compagnie d'une dizaine de guerriers orques et se dirigeait vers l'ouest, en direction de l'Ombrie.

 

   Quelques heures après le départ de Cédric, la soeur de Braniek se rendit à la demeure de Gurlek, le second de son frère, pour le mettre au fait d'une situation exceptionnelle. Chemin faisant, elle rencontra le shaman Turok qui, ayant entendu parler des exploits précédents du jeune Meruvien et de la confiance que venait subitement lui octroyer le commandant, dit à Oumma :

 

   - J'espère que ton frère sait ce qu'il fait. Les humains restent des humains et n'ont jamais démontrés d'affinités particulières envers nous. Je mettrai ton frère en garde contre un excès d'intérêt qu'il semble porter à ce jeune homme.

 

   Souriante, Oumma répondit :

 

   - Et Braniek a toujours besoin de tes conseils avisés, mais je peux t'assurer que les jeunes gens que j'ai ramenés d'Ombrie ne sont d'aucun danger pour nous.

 

   Après quelques autres banalités échangées, les deux personnages se séparèrent. Quelques instants plus tard, la soeur de Braniek entrait chez Gurlek. Ce dernier, tout étonné de voir la soeur du commandant venir lui rendre visite, lui dit :

 

   - Oumma !? Par Kalush... si je m'attendais à te voir ici ? Toi qui m'évites la plupart du temps, à quoi dois-je donc l'honneur de ta visite ?

 

   - Arrête tes idioties et laisse-moi entrer, répondit la jeune Orque, j'ai à t'entretenir de faits importants !

 

   Quelques instants plus tard, les deux Orques se retrouvaient en pleine conversation.

 

   - Mon frère est devenu complètement fou, dit Oumma. Le voilà qui veut se porter au secours de la reine des Ombres qui se trouve emprisonnée à Ethyria d'ailleurs, et pour ce faire il utilise les services d'un jeune humain... Je crois qu'il lui reste quelques séquelles de sa maladie. J'ai peur que son jugement et ses actes ne soient perturbés par l'empoisonnement dont il a été victime.

 

   Gurlek regarda la jeune orque avec étonnement. Il répondit :

   - Je ne vois pas pourquoi tu viens me raconter tout ça, en général tu ne me mets pas au fait de tes problèmes ni de ceux de ton frère !?

 

   Oumma respira profondément et dit :

 

   - Il y a quelque temps déjà tu m'avais alertée et fait remarquer le peu de capacités à gouverner que possédait Braniek. Maintenant je me rends compte que tu avais raison et si je viens vers toi aujourd'hui c'est de nouveau pour avoir ton sentiment sur cette question et voir ce que nous pourrions faire pour protéger le clan ?

 

   Gurlek semblait songeur, il hésitait à s'exprimer. Finalement il répondit :

 

   - Si tu te souviens bien de tout ce que je t'ai dit auparavant, toi et moi pouvons régler ce problème. Je t'avais proposé de m'épouser et à nous deux nous aurions pu déposer Braniek du poste de commandement de l'armée orque qu'il occupe actuellement. Tous les deux aurions pu gouverner l'Orcie et lui rendre sa puissance d'antan. Tu m'as alors repoussé et dédaigné mes avances, changerais-tu d'avis maintenant ?

 

   - Je cherche des réponses. Je m'aperçois que mon pauvre frère n'est plus apte à gouverner et je pense à l'avenir de notre peuple avant tout. Nous avons besoin d'un commandement fort à la tête du pays et je crois que tu as raison, oui, je regrette ne pas avoir accepté ta demande à l'époque.

 

   Un sourire malicieux éclaira la figure du second de Braniek.

 

   - Ainsi donc tu viens t'offrir à moi parce que tu as des vues sur le trône de Khal-maresh et que tu as besoin de mon aide pour parvenir à tes fins... Est-ce cela le but que tu t'es fixée ?

 

   - Doucement, doucement, répondit la jeune Orque. Je ne viens pas me jeter dans tes bras comme une vile prostituée des bas-fonds de la cité et que tu honores souvent de ta présence d'ailleurs. Je vais encore réfléchir à cette demande en mariage, si effectivement tu veux m'aider à renverser Braniek, alors oui je t'épouserai et serai tout à toi.

 

   - Et bien voilà une nouvelle étonnante mais qui me plaît à ravir. Je suis heureux que tu aies changé d'avis au sujet de ton frère. Je te propose donc de convenir ensemble d'un plan qui nous portera tous les deux jusqu'au trône de Khal-maresh. A ce propos, nous avons besoin de l'aide du grand shaman Turok, peux-tu te charger de l'amener vers notre camp ?

 

   - Je vais essayer, car son appui ne sera pas à dédaigner, répondit la soeur de Braniek. En attendant, j'aimerais connaître tes intentions en ce qui concerne le sort que tu veux réserver à mon frère ?

 

 

*   *   *

 

   Par une belle matinée ensoleillée, le ''Phaéton'', nouveau vaisseau du gouverneur de Cinaxa, entrait dans la rade de Sybaris. Gildric, invité par Willibert et Rosemonde, s'apprêtait à rencontrer sa promise, la jeune Alix. Celle-ci, quelque peu inquiète mais curieuse, conversait avec sa soeur Théodora tout en se posant mille et mille questions sur le fiancé que son père lui avait trouvé et qu'elle n'avait jamais vu.

 

   - Je sais qu'il doit avoir la cinquantaine et qu'il a une fille d'environ ton âge, assura Théodora à sa soeur, quant à la description de son physique, nous n'en avons pas été informées.

 

   La jeune Alix s'exclama :

 

   - Peut m'importe son âge s'il est grand et beau. Pour ce qui est de sa fille, cela me fera tout drôle de l'avoir pour belle-mère mais nous pourrons être amies !

 

   - Je l'espère pour toi, mais il paraît qu'elle aurait fuit Cinaxa pour se rendre en Meruvia accompagnée d'un jeune homme, son père ne lui pardonnera sans doute pas aussi facilement.

 

   - Ce qui m'importe le plus c'est de voir mon fiancé, répondit Alix. J'ai quand-même un petit pincement au coeur de savoir qu'après mon mariage, toi et moi ne nous verrons plus souvent, nous n'avons jamais été séparées !

 

   Théodora embrassa sa soeur et répondit tout en souriant :

 

   - Mais j'irai te voir de temps en temps et toi aussi tu viendras nous rendre visite à Sybaris. Ne t'inquiètes donc pas et descendons près de père et mère, le gouverneur Gildric ne tardera sans doute pas.

 

   Un peu plus tard, les deux soeurs quittaient la chambre de Théodora et se mirent à descendre le grand escalier menant à la salle de réception du palais. Chemin faisant, les deux jeunes filles rencontrèrent le général Arnold qui venait à leur rencontre.

 

   - Ah, damoiselle Alix, votre père réclame votre présence, le gouverneur Gildric vient d'arriver à l'instant et il a hâte de rencontrer sa fiancée.

 

   La jeune fille sentit son coeur battre très fort dans sa poitrine, bien qu'elle-même quelque peu envahie par l'émotion, elle désirait rencontrer Gildric au plus tôt. Dès qu'elle entra dans la pièce, Alix dû se retenir à sa soeur afin de ne pas s'effondrer. C'était donc à cet homme que son père la destinait !? Plus petit que la moyenne, plutôt maigrichon et le regard sévère malgré un sourire bizarre qu'il esquissait péniblement, il déplut immédiatement à la fille de Willibert. Celui-ci, tout joyeux s'avança vers Alix, prit les deux mains de sa fille dans les siennes et lui dit :

 

   - Ah ! Voici ma fille chérie, viens ici Alix que je te présente à ton fiancé. C'est un homme puissant avec qui nous ferons alliance et construirons une nouvelle nation.

 

   Presque tremblante, aidée par sa soeur, la jeune fille s'avança vers Gildric et arrivée par devant lui, fit la révérence puis se redressa, n'osant pas le regarder dans les yeux.

 

   - Ainsi donc voici ma future épouse, s'exclama le maître de Cinaxa, charmante, oui très charmante... C'est réellement un plaisir pour moi de vous rencontrer.

 

   Puis, son regard s'étant porté sur Théodora, il sembla tout-à-coup bien plus intéressé par la prestance naturelle de la soeur aînée d'Alix.

 

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