A Ixos, Bertrand s'apprêtait à partir en mission à Sirgonia. Le général Eudes avait rappelé au fils de Manon l'importance de la négociation qu'il allait effectuer dans la grande cité de l'Ouest. Il était en effet question du partage des ressources militaires, des machines de guerre et des nominations d'officiers de différents grades parmi les deux factions de l'Alliance du Nord. Le soir de la veille du départ de Bertrand, le général lui avait parlé en ces termes :

   J'espère que tu as bien compris toute l'importance de ta mission. L'équilibre entre les deux alliés doit être impérativement respecté. Si le général Horace avait rejoint l'Alliance, je me serais entretenu moi-même avec lui mais puisque tel n'est pas le cas, c'est à son second, le capitaine Aetius que tu auras affaire, à moins que le gouverneur Théodorus ne s'en mêle également. Tu sais que j'ai toute confiance en toi et en ta perspicacité, et surtout, ne pose aucun acte qui pourrait mettre l'alliance entre nos deux villes en danger. C'est maintenant qu'il nous faut nous montrer puissants face aux armées du duc, ce faux-roi qui règne illégalement à Ethyria.  

   Ayant pris congé du général Eudes, Bertrand rejoignit les appartements de sa mère dans le palais du gouverneur Clodomir et où s'entretenaient Manon, Elisabeth, Roswyn, Aldebert, Ethiolas et Elwyn.

   S'adressant directement au fils de Manon, Aldebert lui demanda :

   - Te souviens-tu d'un certain Aron, paysan à Ilos ?

   Roswyn répondit avant son frère :

   - C'était le meilleur ami de notre père Jeanjean et c'est lui qui a amené mère ici. Pourquoi... Que lui est-il arrivé ?

   Nous l'avons installé dans un immeuble près de la Guilde des Marchands à Ethyria, répondit Ethiolas.

   - Oui, continua Aldebert. Vous savez que depuis que je n'ai plus accès à la capitale, il nous manquait quelqu'un là-bas pour surveiller ce qui se passe et se dit au palais. Aron a aussitôt accepté ce poste et est prêt à aider l'Alliance. Il sera donc nos yeux et nos oreilles à Ethyria.

   - Mais...Aron doit déjà être âgé maintenant, répondit Bertrand. Et, sans vouloir offenser mère, il n'était qu'un...paysan à Ilos ! Je ne vois pas en quoi il pourrait nous être utile?!

   - Disons qu'il a un peu vieilli, ajouta Ethiolas. Cependant, ce que tu ignores est que Aron possédait et possède toujours d'énormes qualités de marchandage. Mon successeur à la Guilde des Marchands, qui est un très bon ami, le chargera de toutes les transactions devant se faire entre la guilde et le palais.

   - Bien, bien, répondit Bertrand. Vous savez que je me mets en route demain pour Sirgonia, porteur d'un message du gouverneur Clodomir et que m'a remis le général Eudes.

   - Qui t'accompagnera, demanda Roswyn ?

   - Et bien... Mon fidèle Enoch bien sûr. Un géant et un costaud celui-là, avec lui je me sens partout en sécurité. Il y aura également un autre de mes hommes, Albéric.

   - Ah ! Je me souviens de lui, s'exclama Aldebert. Le pauvre, j'ai failli le chasser comme un chien le jour où il m'a apporté ton message concernant la décision que tu avais prise au sujet de cette chère Elisabeth !

   Et devant un regard plus que significatif que lui jetait l'ex-bailli d'Ilos, l'amie de Manon se mit à rougir.

   Tout le monde rit très fort, et c'est alors que Roswyn intervint :

   - Oh, je t'en prie mon frère chéri, laisse-moi t'accompagner à Sirgonia !

   - Mais je... Pourquoi veux-tu venir là-bas ? Je ne voudrais pas que la princesse Edwyna soit déjà confrontée avec les responsables d'une cité dont on ne sait pas encore s'ils sont réellement fiables !

   - Je ne suis pas connue à Sirgonia et ce n'est pas la princesse Edwyna qui t'accompagnera, répondit la jeune femme, mais bien ta sœur Roswyn.

   Manon prit alors la parole :

   - Voyons Bertrand... C'est la future reine de Meruvia qui te le demande...

   - Et bien soit, concéda Bertrand. Maintenant allons dormir, demain nous partirons très tôt.

   Tous, se séparèrent. Le fils de Manon retint sa mère un instant par le bras et lui chuchota :

   - N'as-tu point vu les regards langoureux que jetait ma sœur à son ami Elwyn ? Et j'ai remarqué que celui-ci n'y était pas indifférent d'ailleurs !

   - Non... Que veux-tu dire ? Crois-tu que...

   - J'espère me tromper, mère... Ceci dit, peut me chaut que l'Elfe qui est son ami devienne ou non son amant, pour autant que cela n'aille pas plus loin. Le peuple ne l'admettrait pas !

   Le lendemain matin, une certaine effervescence régnait dans la cour du palais du gouverneur. Le soldat Albéric avait rassemblé quatre chevaux rapides et les amenait là où étaient réunies quelques personnes qui parlaient bruyamment.

   - Allons, allons mère... Ce n'est pas comme si nous allions partir en guerre, ma sœur et moi !  Séchez vos larmes, ma chère mère, nous n'allons remplir qu'une simple mission dans une ville alliée.

   - Oui je sais, répondit Manon entre deux hoquets, mais vous m'avez déjà tellement manqués, Roswyn et toi...

   Un peu plus loin, la jeune fille discutait à voix basse avec Elwyn.

   - Je te promets de revenir très vite, assurait la jeune femme à son ami. N'oublie pas que je t'aime. Peut importe où nous conduira notre amour, je suis prête à en subir toutes les conséquences !

   - Je t'aime aussi ma princesse, et de tout mon être, répondit l'Elfe. Je vais maintenant rejoindre le village des Sedes-odaï où je t'attendrai, il nous faudra bientôt poursuivre nos recherches des bijoux de la déesse. Quant à notre amour, j'ai simplement peur que nous nous aventurions sur un chemin sans issue... Mais regarde, ton frère t'appelle, il est temps pour toi de partir !

   Effectivement, Bertrand faisait signe à sa sœur de le rejoindre. Il se tourna vers Enoch et lui dit en riant :

   - Es-tu prêt, montagne de muscles ? Nous partons.

   Un large sourire apparut sur les lèvres du géant qui répondit :

   - On y va, sergent !

Ce qui fit beaucoup rire Bertrand car en effet, bien que le jeune homme ait été nommé capitaine par le général Eudes, Enoch l'appelait toujours ''sergent'', ce tout jeune sergent qui l'avait battu dans un combat à l'épée lors de leur première rencontre.

   Après quelques effusions rapides entre les membres de ce petit groupe, le fils de Manon et ses compagnons se dirigèrent vers la Porte Ouest, à partir de laquelle ils se mirent à galoper dans la direction de Sirgonia.



*   *   *

 

   Le lendemain, dans la grande cité de l'Ouest, deux hommes s'apprêtaient à entrer dans les appartements du gouverneur Theodorus. Le conseiller Rupert était accompagné du général Horace qui venait de rentrer d'un voyage dans les Collines de Rochegrise.

   - Je vous assure, disait le cousin du gouverneur, que Theodorus nous a clairement affirmé qu'il ne voyait aucun inconvénient à vous donner sa fille blanche en mariage pour autant que vous fassiez un geste de bonne volonté. Mais entrons, voulez-vous ? Le gouverneur nous attend !


   Theodorus accueillit les deux hommes avec un large sourire et invita ses hôtes à s'asseoir dans un somptueux divan recouvert de splendides parures de Naxos. Il héla un serviteur en s'écriant :

   - Hola ! Que l'on nous apporte du vin... Et le meilleur. Ensuite qu'on nous laisse seuls !

   Les deux hommes s'assirent en même temps, le général Horace regardant Theodorus d'un air circonspect.

   Le gouverneur attendit que les coupes soient remplies et que les serviteurs sortent de la pièce avant de s'exclamer :

   - Ah ! Horace... Vous êtes un petit cachottier et un coquin... Qu'ai-je appris ? Vous seriez amoureux de ma fille Blanche et vous ne m'en parlez point ? Personne au palais n'ignore les regards langoureux que vous jetez à ma fille ! Par Nélos, vous agissez comme un jouvenceau... Vous voulez épouser Blanche ? Et bien soit, je vous la donne pour femme !

   Tout étourdi par cette entrée en matière, le sexagénaire se mit à balbutier quelques mots de remerciement quand Theodorus lui coupa la parole :

   - Voyons mon ami Horace, vous savez qu'il y a une contrepartie à ceci ! Nous avons besoin de vous pour commander l'Alliance du Nord à Sirgonia. Vous ne nous avez pas encore rejoint et je sais pourtant que vous n'êtes pas un fidèle du duc de Roncenoir ! Qu'attendez-vous ? Ce mariage ne s'en fera que plus rapidement !

   Le cousin du gouverneur, qui venait de vider les dernières gouttes de sa coupe de vin, attendait impatiemment la réponse du général en jetant sur celui-ci un regard interrogateur.

   - Oui, c'est vrai. J'aime Blanche, et je voudrais l'épouser puisque vous y consentez. Considérez donc que mes hommes sont dès cet instant, à votre disposition. Cependant, j'aurais voulu...

   - Tout ce que vous voulez, général, lui répondit Rupert. Pour autant que cela reste dans la limite du raisonnable, n'es-ce pas, cousin ?

   - Oui, oui, bien entendu, jeta Théodorus quelque peu agacé. De quoi s'agit-il ?

   - Et bien voilà, je désirerais être nommé commandant en chef de toute l'Alliance réunie. Le général Eudes d'Ixos devrait être sous mes ordres !

   - Vous savez que cela ne dépendra pas de moi, répondit Théodorus, ceci est à voir avec le gouverneur Clodomir d'Ixos. Je ne puis donc rien vous promettre.

   - Bien entendu, gouverneur. Ceci n'est qu'un souhait !

   Les trois hommes achevèrent de vider la cruche de vin puis, quand Theodorus se retrouva seul, il fit appeler son épouse Liliane ainsi que sa fille Blanche.

   Blanche s'était mise à pleurer. La nouvelle que venait de lui apprendre son père la consternait, mais très vite, elle se rebiffa :

   - Jamais père... Jamais je n'épouserai cet homme, m'entendez-vous ?... Comment avez-vous pu penser à cela ?!

   Dame Liliane intervint énergiquement :

   - Voyons mon ami, avez-vous perdu la tête ? Il n'est pas question que Blanche épouse le général Horace, Je vous en empêcherai !

   - Taisez-vous toutes les deux ! Ce mariage se fera, c'est une question de raison d'état, la prédominance de Sirgonia dans l'Alliance l'exige. Si tu refuses, Blanche, je te jure par Nélos que tu iras rejoindre les prêtresses du temple d'Aziza !

   - Et bien soit, s'écria la jeune fille, j'irai donc rejoindre les Vierges au temple, c'est vous qui l'aurez voulu !

   Theodorus fulminait. Il s'écria que ce mariage se ferait, avec ou sans l'accord de sa fille. En attendant, elle serait interdite de sortie puis envoyée au temple d'Aziza en attendant le jour de la cérémonie.

   A ce moment, un serviteur annonça l'arrivée imminente du capitaine Bertrand, l'envoyé du gouverneur d'Ixos. En effet, Enoch et Albéric ayant, quant-à-eux, été dirigés vers un bâtiment militaire, le fils de Manon, accompagné de Roswyn et du capitaine Aetius, parcouraient l'allée menant aux appartements du gouverneur. Arrivés presqu' à hauteur de la porte d'entrée du palais, ils rencontrèrent dame Liliane accompagnée de sa fille toujours en larmes.

   Les regards de Bertrand et Blanche se croisèrent. Un instant, les yeux de la fille de Theodorus semblèrent implorer le fils de Manon. Celui-ci, émerveillé par l'apparition qui se présentait à lui sentit, pendant un moment, les battements de son cœur se faire plus rapides dans sa poitrine pendant que Blanche lui souriait d'un air triste.

   Amusé par la scène, le capitaine Aetius pensa en lui-même :

   - Voila la solution...J'en parlerai à dame Irène.

   Puis, se tournant vers l'épouse du gouverneur, le capitaine lui dit :

   - Permettez, dame Liliane. Voici Roswyn, la sœur du capitaine Bertrand ici présent. Votre époux demande de bien vouloir vous charger de son séjour pendant que son frère ainsi que moi-même allons nous entretenir avec le gouverneur.

   Les présentations rapidement terminées, tous se quittèrent, Roswyn accompagnant les deux femmes. Le fils de Manon n'arrêtait pas de se retourner pour encore regarder Blanche qui s'en allait au loin tandis que celle-ci, faisant de même, se répétait inlassablement à voix basse le prénom du fils de Manon.

Bertrand...Bertrand...

 

 

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