Le géant orque assis à une table de la taverne de l'Ours, à Khal-maresh, acheva sa pinte de bière aigre. Il essuya ses lèvres épaisses d'un revers de son avant-bras et, semblant satisfait des paroles qu'il venait d'entendre, se leva et s'éclipsa en silence, prenant la direction de la demeure du commandant Braniek. Tout en marchant vers le haut de la cité, il se répétait d'un air amusé : 

   - Hé hé, les trois frères semblent vouloir s'entre-tuer... Plus simple sera donc ma tâche ! Le pouvoir en Orcie sera bientôt mien !

   La neige cessait de tomber lorsqu'il atteignit la résidence de Braniek. Il se fit annoncer par un garde du commandant et entra dans la pièce où trônait le chef orque. Le shaman Turok venait de sortir quelques instants auparavant et Braniek, seul, était occupé à étudier une carte des régions situées au nord de la chaîne de Nordeloor.

   Levant la tête et jetant un coup d'oeil vers son second, le commandant s'exclama :

   - Ah, Gurlek mon ami, j'étais impatient de te revoir ! Entre donc, j'ai hâte d'entendre ton rapport sur ton voyage dans le Pays des Ombres !

   Gurlek salua Braniek et, s'asseyant sur un siège que le commandant lui présentait, le géant se mit à raconter :

   - Je sais que tu veux étendre nos territoires vers l'Ouest, je vais donc t'expliquer quelles en seront les difficultés. Tout d'abord, parlons du Pays des Nains, notre premier voisin à l'Ouest. Mes hommes et moi n'y avons vu que quelques villages disséminés çà et là, d'Est en Ouest dans toute la région. Les nains ont pratiquement tous disparus de leurs territoires et leur nombre estimé est d'environ un millier de personnes, femmes, enfants et vieillards y compris.

   - N'ont-ils donc plus de capitale, demanda Braniek ?

   - Pas le moins du monde, poursuivit Gurlek, c'est actuellement un pays sans aucune défense ni armée digne de ce nom.

   - C'est étrange, reprit le commandant, il existe pourtant une légende parlant d'une immense ville souterraine que les nains auraient construite après leur défaite contre les humains lors de l' Ere Première ?!

   - Je puis t'assurer que les seuls souterrains que nous avons vus ne sont que des repaires de scorpions et de rats. La mystérieuse cité des nains dont font mention les archives de Meruvia se semble être qu'un mythe colporté depuis plusieurs siècles ! 

   Le commandant sembla satisfait de ce qu'il entendait. Il s'écria tout joyeux :

   - Alors, considérons déjà ces territoires comme nôtres... Nous n'aurons pas besoin de machines de guerre pour nous emparer de quelques villages ! Venons-en à cet étrange Pays des Ombres, maintenant !

   Gurlek dévisagea Braniek quelque temps avant de répondre, puis finalement, dit :

   L'Ombrie reste un mystère pour tous les mortels. Ses habitants sont des fantômes qui se meuvent dans l'air mais qui se battent comme des Orques. De plus, ils sont pratiquement invincibles, seul le feu peut les détruire. Leur château est totalement imprenable car il se meut dans l'Espace. Nous n'y avons observé ni entrée ni sortie. Chercher à acquérir ce territoire ne nous apportera rien de plus que défaites et lourdes pertes.

   Braniek semblait dépité d'entendre ces paroles. Presque fâché, il répondit :

   - Ainsi donc nous ne pourrions pas agrandir notre territoire jusqu'à la frontière du Pays des Gobelins ? Tu m'en vois très mécontent, Gurlek, j'avais espéré encercler Meruvia par l'Ouest !

   - Apparemment, il te faudra faire un choix, commandant. Tu ne pourras pas te lancer à la conquête du duché de Roncenoir et en plus lancer des assauts sur ce pays trop mal connu qu'est l'Ombrie !

   - Ca me désole, répondit Braniek. Si au moins j'avais pu compter sur mes deux idiots de frères Varok et Rhoar !! J'ai besoin de leurs mille guerriers et au lieu de cela, mes frères se liguent contre moi et veulent sans doute s'en prendre à mon intégrité physique, je suis certain que ces deux-là préparent un mauvais coup !

   - Et tu aurais oh combien raison, commandant ! Je peux t'assurer qu'à l'instant même un complot est en train de s'ourdir contre toi. Je suis passé par l'auberge de l'Ours avant de venir ici et j'ai clairement entendu tes frères, qui ne se gênent pas pour parler haut d'ailleurs, de vouloir te faire disparaître lors d'une chasse au tigre des neiges dans les haut-plateaux !

   - Ho ho... Voilà qui est très intéressant ! Tu ne t'es pas fait voir au moins ? Personne n'a remarqué ta présence ?

   - Ne crains rien Braniek, personne ne m'a vu et je suis sorti par la porte de derrière.

   Le commandant semblait très pensif. Il répondit à Gurlek :

   - J'avais demandé au shaman Turok de te voir afin de régler ce problème une fois pour toutes mais puisque tu es venu directement jusqu'ici, nous pouvons en parler maintenant. Tu me dis donc que ces deux idiots pensent me faire disparaître lors d'une chasse au tigre dans les hauts-plateaux ? Et bien tout cela est parfait, nous allons accepter leur invitation car je suppose qu'ils vont m'en lancer une mais c'est moi qui vais leur réserver une surprise à laquelle ils ne s'attendront pas !

 

*   *   *

 

   Quelques jours plus tard, l'ambassadeur Irriël rentrait dans sa tribu des Tes-elwens, dans le nord de la forêt des Blanpeaux. Il se dirigea directement vers la Maison des Murmures, nom commun donné à chaque lieu de réunion des différentes tribus chez les Elfes des bois. Le grand druide Thyriel se trouvait en conversation animée avec les anciens du village. Apparemment, deux groupes s'étaient formés, chacun se dressant contre les propos avancés par l'autre.

   Dès l'entrée d'Irriël, le grand druide, d'une voix forte et assurée, imposa le silence à la petite assemblée :

   - Taisez-vous tous ! Irriël qui nous revient du Pays des Orques, a sans doute beaucoup de choses à nous dire.

   L'ambassadeur prit place à la table des anciens et, pendant qu'une jeune Elfe servait à chacun une bière blonde agrémentée de miel, commença :

   - L'Orque Braniek est d'accord de faire suivre l'humaine Roswyn dès qu'elle entrera en Orcie. Les Orques pourront à ce moment lui prendre la couronne de la déesse dès que celle-ci sera en sa possession et ils nous la rendront en échange des mille guerriers que nous mettrons à leur disposition. Le seul problème est que les frères du commandant sont contre la seule idée de faire alliance avec une tribu elfe !

   Un vieil Elfe longiligne, le visage parsemé de rides profondes, se leva alors et s'écria :

   - C'est pourquoi je prône depuis longtemps que la seule solution est de tuer l'humaine Roswyn là où elle se trouve actuellement. Nous ne pouvons attendre qu'elle ait retrouvé un autre artefact appartenant à la déesse car nous perdrions alors tout avantage sur elle. En outre, nous ne savons pas quelle sera sa prochaine quête ? Se rendra-t-elle dans le Pays des Gobelin en premier pour rechercher le collier pour les Maleel-aels ou ira-t-elle directement vers l'Orcie ? Qui d'entre-vous peut le dire ?

   Le grand-druide Thyriel répondit d'un air énervé :

   - Il s'agit de ton idée Hethwyn, mais je suis d'accord avec Irriël ! Cette Roswyn se trouve actuellement dans la tribu des Sedes-odaï et je ne veux absolument pas risquer une confrontation avec nos frères du Sud. Attendons plutôt que cette humaine se rende dans le Pays des Orques avant d'agir.

   Une grande clameur d'approbation s'éleva pour accueillir les propos de Thyriel tandis que quelques irréductibles, partisans de l'avis de Hethwyn, frappaient la table de leurs deux mains afin de marquer leur désaccord.

   Le grand-druide Thyriel leva ses deux bras et s'écria :

   - La majorité a parlé ! Je suis de l'avis de l'ambassadeur Irriël et c'est donc dans le Pays des Orques que disparaîtra cette Roswyn. Nous ne serons même pas responsables de sa mort, les Orques s'en chargeront eux-mêmes.

   Bien que la réunion fut levée par le grand-druide, quelques groupes épars continuaient à discuter du pour et du contre des différentes opinions présentées un peu plus tôt. Le dénommé Hethwyn semblait le plus acharné à faire valoir ses propres idées auprès de ses camarades et, emmenant l'un d'entre-eux au-dehors de la Maison des Murmures, lui dit :

   - Themwyel, nous sommes amis depuis l'enfance et la majorité du temps, avons partagé les mêmes idées ! De plus, il en va de ta nomination comme nouveau chef de la tribu des Tes-elwens. Nous devons prouver que toute cette histoire de Prophétie n'est qu'une invention des Elfes de la tribu des Sedes-odaï, peut-être aidés en cela par un arrangement avec les Maleel-aels. Il est impératif cependant, de se débarrasser au plus tôt de cette humaine, Roswyn, car l'honneur de la récupération de la couronne de la déesse doit revenir aux seuls Tes-elwens. D'après mes espions, elle est accompagnée dans ses quêtes par un certain Elwyn, le fils d'Ellawen, la druidesse des Sedes-odaï. Il nous faudra donc éliminer les deux personnages en même temps, et quoiqu'en dise le grand druide Thyriel nous devons d'abord essayer de les éliminer dans la tribu des Sedes-odaï, où ils se trouvent actuellement. Si nous échouons là-bas, nous devrons nous en débarrasser au cours de leur prochaine destination, que ce soit chez les Gobelins ou chez les Orques.

   - Tu as raison, répondit Themwyel. Le fils et la fille de mon épouse actuelle, qui pensaient recevoir les honneurs d'être admis à la recherche des bijoux de la déesse, se sont portés volontaires pour abattre la soit-disant Elue humaine ainsi que son compagnon Elfe. Ils ont juré qu'au risque de leur propre vie, ils réduiront à néant cette maudite prophétie inventée par les Elfes du Sud de la Forêt des Blanpeaux.

   - Qu'Ellen bénisse ces enfants, répondit Hethwyn. Que les noms de Wyglen et Cylin soient à jamais loués dans la tribu des Tes-elwens ! 

     Ce soir-là, dans la demeure de l'Elfe Themwyel, une discussion animée venait de débuter parmi la famille. Illiëen, l'épouse de Themwyel, reprochait à celui-ci le peu de cas qu'il faisait de la vie de ses enfant en les envoyant exécuter une aussi dangereuse mission.

   - Mes enfants ont à peine vingt ans, s'écriait Illiëen. Tu veux déjà les envoyer à la mort pour la seule raison que leur décès serait pour toi un grand honneur car il te rapprocherait un peu plus de tes désirs d'occuper la plus haute responsabilité dans la tribu des Tes-elwens ?! Nous savons tous que depuis la mort de notre chef Imalëel, c'est sa place que tu convoites ! Ah, si feu mon mari était toujours de ce monde, jamais il n'aurait accepté une telle folie !

   Wyglen prit la parole et essaya de calmer sa mère :

   - Oh mère, n'accablez pas ainsi notre père adoptif ! Vous savez que Cylin et moi nous sommes portés volontaires pour nous débarrasser de l'humaine Roswyn. Il est impossible que la déesse Ellen ait fait le choix de cette femme pour mener à bien la récupération de ses bijoux ! Nous espérons qu'elle nous protégera et rendra au peuple Tes-elwens la grandeur qu'il mérite, ayez confiance mère, nous serons très prudents.

   - Dans ce cas expliquez-moi pourquoi cette Roswyn a-t-elle déjà retrouvé l'anneau de la déesse ? Pourquoi Ellen lui ferait-elle une telle faveur si elle n'avait pas décidé que l'humaine serait l'Elue de la Prophétie ?

   - Il n'y a pas de prophétie, tonna Themwyel. C'est une invention des Sedes-odaï et des Maleel-aels pour mieux nous dominer, mais c'est nous qui les dominerons en faisant éclater la vérité. Sache qu'une fois l'humaine morte, la soit-disant prophétie mourra avec elle. Wyglen et Cylin continueront eux-même les recherches et nous rapporteront la couronne que les Orques nous rendront bien volontiers !

 

*   *   *

 

   La région des hauts-plateaux était la plus froide de l'Orcie. Au nord de ceux-ci s'étendaient des territoires tellement sombres et glacés que même la majorité des Orques évitaient de s'y aventurer car seuls les plus téméraires et les plus résistants d'entre-eux pouvaient résister à d'aussi basses températures. En Meruvia, ces terres étaient appelées à juste titre les Territoires Inconnus car aucun des quelques personnages qui avaient risqué de s'y aventurer n'était rentré au pays pour raconter ce qu'il y avait vu. 

   La petite troupe d'Orques qui se déplaçaient en ce jour à l'extrême limite de l'entrée des hauts-plateaux était un groupe de guerriers qui, armés d'arbalètes, étaient sur la piste d'un smilodon ou tigre à dents de sabre. Parmi eux, se trouvaient le commandant Braniek, accompagné de ses deux frères Varok et Rhoar, ainsi que de l'officier Gurlek.

   - La bête est passée par ici, commenta Braniek, et elle se dirige vers cette petite forêt qui se trouve là devant nous.

   La neige s'était remise à tomber en gros flocons très serrés quand Gurlek cria à ses compagnons :

   - Nous devons rejoindre le tigre avant que la neige n'efface ses traces, sans quoi il risque de nous échapper, ce qui déplairait beaucoup à notre grand chasseur !

   Le jeune Varok répondit :

   - Nous rejoindrons la bête, je crois que nous allons vivre une chasse mémorable !

   - Puisses-tu dire vrai, répondit le commandant à son frère.

   La forêt dans laquelle venaient de s'engager les chasseurs était un peu plus vaste qu'ils ne l'avaient supposé et déjà, il virent avec un certain dépit que les traces du smilodon s'estompaient rapidement.

   Quelques instants plus tard, une forte bourrasque s'abattit sur le haut-plateau et un vent tourbillonnant s'engouffra dans la forêt, entraînant avec lui un énorme nuage de neige qui vint perturber la vision des Orques. Au même moment, un feulement retentit à une dizaine de pas des chasseurs et un terrible tigre à dents de sabre s'abattait rapidement sur eux toutes griffes dehors.

   Deux guerriers orques s'affaissèrent aussitôt, la poitrine ouverte et transperçée par les longues dents de l'animal, mais quatre dards tirés à bout portant eurent raison du tigre qui s'écroula dans la neige en labourant le sol de ses longues griffes acérées.

   Le sang rougissait à peine le sol où s'était affalé le monstre qu'un ordre crié par Varok fut lancé :

   - Maintenant !  tuez-les !

   Quelques chocs sourds retentirent dans la forêt. Les frères du commandant pâlirent en voyant Braniek et Gurlek encore debout et tout souriants.

   - Que croyiez-vous donc, pauvres fous, leur dit le commandant ?! Votre complot a été déjoué depuis longtemps et c'est nous qui vous avons tendu un piège ! Vos tueurs qui nous suivaient sont morts et maintenant c'est à votre tour !

   En effet, quelques Orques fidèles à Braniek s'approchèrent à une dizaine de pas. Tout étonnés, Varok et Rhoar n'eurent pas le temps de répondre à leur frère car deux nouveaux sifflements se firent entendre. La bouche ouverte et sans un cri, les deux frères portèrent ensemble leurs mains sur le carreau d'arbalète profondément enfoncé dans leur poitrine et, avec un regard hébété, s'écroulèrent sur le sol.

   Le commandant se tourna vers Gurlek et lui dit :

   - Et bien ami, si tu n'avais pas déjoué ce complot quand tu es rentré d'Ombrie, je ne serais plus de ce monde à l'heure actuelle ! Je t'en serai éternellement reconnaissant.

Gurlek sourit en regardant le commandant et, en lui-même, il pensait :

Il ne reste plus que toi, mon pauvre Braniek...

 

 

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