De fortes chaleurs s'étaient abattues sur l'île de Phaéton. Une période de sécheresse sévissait anormalement dans le gouvernorat de Cinaxa depuis plusieurs mois et, dans plusieurs régions avoisinantes, les sources commençaient à se tarir rapidement. Le gouverneur Gildric était inquiet, les réservoirs d'eau potable de la capitale se vidaient à une vitesse inquiétante. Un matin, il fit appeler sa fille Eleonor et lui parla en ces termes :

   - Il est temps pour toi de prendre part à la vie politique et d'assumer des responsabilités au sein du palais. Je sais que la mort de ta mère t'a énormément affectée et que depuis, tu ne t'es jamais intéressée aux affaires de Phaéton. Il est cependant grand temps de mettre un terme à ton inactivité, tu viens d'avoir dix-huit ans et je vais avoir besoin de toi pour une mission très importante.

   Tu connais tous les problèmes que nous rencontrons actuellement à cause de cette sécheresse qui s'est abattue dans nos régions. Nous allons avoir besoin d'aide et ce, immédiatement. C'est pourquoi j'ai décidé de t'envoyer en ambassadrice auprès du duc de Roncenoir à Ethyria. Tu négocieras avec lui l'envoi de réservoirs d'eau potable en échange de pierre de marbre dont les Meruviens ont grandement besoin.

   Eleonor regarda son père d'un air dubitatif puis, répondit :

   - Mais père... Je n'ai pas l'habitude de telles transactions...Comment voulez-vous que je négocie un tel marché ?!

   Un sourire malicieux apparut sur les lèvres du gouverneur.

   - Ne crains rien, tu ne seras pas seule bien entendu... Gaëtan, le trésorier du palais t'accompagnera et se chargera des pourparlers de la transaction. Tu te borneras à ton rôle d'ambassadrice de Phaéton. Nous faisons immédiatement apprêter un navire, vous partirez dans deux ou trois jours au plus tard.

   Bien que peu intéressée par la demande de son père, la jeune fille dû, de bonnes grâces, accepter ce qui ressemblait plus à un ordre plutôt qu'à une simple requête. Elle quitta le gouverneur d'un air résigné et regagna son appartement où l'attendait sa gouvernante Marguerite. Celle-ci, au fait de tous les tumultes et complots qui se succédaient au palais, accueillit avec suspicion la demande faite à Eleonor.

   - J'ai l'impression que ton père a surtout l'intention de te faire remarquer par le duc. Je me demande quelle sombre idée a encore germé dans son esprit torturé ?

   Un peu plus tard, Gildric faisait appeler le général Hildebald dans la salle du conseil.

   - Ah te voici, général ! Je suis extrêmement satisfait que tu m'ait appris que le duc de Roncenoir désirait se marier afin de pouvoir hériter d'une descendance mâle.

   En souriant, le général répondit :

   - Oui, et comme je te l'ai annoncé, d'ici quelques jours le duc compte inaugurer une grande réception à laquelle seront conviés les plus grandes familles de Meruvia accompagnées de leur progéniture en âge de convoler en noces.

   Gildric fronça les sourcils et ajouta :

   - Même si cet idiot de duc n'a pas daigné inviter le gouverneur de Phaéton, je lui présenterai quand-même ma fille car j'envoie Eleonor en ambassadrice à Ethyria pour négocier l'achat de centaines de réservoirs d'eau potable à destination de Cinaxa.

   - Je vois que tu comptes à juste titre sur la beauté de ta fille pour impressionner le duc !

   - Oui Hildebald, et ce mariage serait un atout majeur pour nous. Si Eleonor épousait le duc, elle deviendrait elle-même la reine d'Ethyria et donc de Meruvia. Nous serions alors beaucoup moins surveillés par Norbert et pourrions avancer beaucoup plus rapidement dans la formation d'une grande armée et d'une grande flotte, j'ai toujours en tête de m'emparer du royaume et d'en être moi-même le roi.

   Le général, certain du bien-fondé de la décision du gouverneur, répondit :

   - Je connais la plupart des membres de la noblesse de Meruvia et je suis convaincu que ta fille va éclipser en beauté toutes les prétendantes au titre d'épouse du duc de Roncenoir. Maintenant, on ne sait jamais, le duc a déjà peut-être quelques préférences ?

   - Tu sais bien qu'Eleonor a déjà fait tourner les têtes de tous les jeunes puceaux de Cinaxa. Maintenant, Je ne pouvais pas mieux profiter de l'instant dû à nos problèmes de sécheresse combinés avec les invitations du duc. Si Nélos est avec nous, alors toutes nos espérances deviendront réalités.

   Gildric changea soudain de conversation et demanda au général dans un style plus ferme :

   - Bien, ceci étant dit, où en es-tu avec le druide de la tribu des Sedes-odaï que tu as fait arrêter ? A-t-il parlé ? Qu'en est-il de son bâton de feu ?!

   - Hélas, nous n'avons rien pu en tirer ! Il dit que son bâton n'est pas chargé et qu'il ne peut le faire lui-même. Cela ne peut être réalisé que par un sort de Flamme Ardente à partir de la Tour Blanche. Je l'ai fait expertiser par nos meilleurs mages ici à Cinaxa et Isembert m'a confirmé que le bâton ne pouvait être utilisé dans cet état.

   - Voilà qui est fâcheux, répondit le gouverneur. En tout cas tu as bien fait de ne pas envoyer ce druide à la torture. Je connais ce genre de personnage, il ne parlerait pas. Fais-le plutôt sortir de prison et mets-le en résidence surveillée. Qu'il soit bien traité, sans doute nous a-t-il menti mais un peu de bienveillance à son égard pourrait éventuellement le rendre plus coopératif d'ici quelque temps. Dis-lui qu'il pourra travailler pour nous ici avec le grand mage Isembert et avoir son propre laboratoire pour ses recherches, je ne pense pas qu'il refusera une telle proposition. Encore une chose, je veux que ce soit Eleonor qui s'occupe de son installation ce soir même. Le druide se sentira plus en confiance si c'est ma fille qui lui présente ses nouveaux appartements !

   A ce moment, un officiel du palais vint annoncer au gouverneur qu'une réparation importante devait être réalisée sur le navire en partance pour la capitale de Meruvia et que cette réparation allait au moins prendre une semaine. Cette nouvelle eut pour effet d'irriter fortement Gildric qui néanmoins se résigna à prendre son mal en patience.

 

*   *   *

 

   Pendant ce temps, à Ethyria, le capitaine Hubert était en pleine discussion avec un paysan de la région qui se voyait vertement sermonné.

   - J'ai entretenu le roi Norbert de tout ce que tu m'as raconté et il veut te voir sur le champ pour entendre ces paroles de ta bouche. Tu as intérêt à avoir dit la vérité sinon il te fera pendre sur la place publique, on ne ment pas à Norbert de Roncenoir !

   - Je vous assure que j'ai dit la vérité capitaine... C'est moi-même qui les y ai personnellement conduits !

   Quelques instants plus tard, le paysan était introduit par devant le duc qui lui demanda fermement :

   - Avant toute chose, déclines-moi ton identité. J'aime savoir à qui j'ai affaire !

   - Oh, pardonnez-moi votre Majesté, oui, bien sûr...

   La voix tremblotante, l'homme commença :

   - Mon nom est Gunther et je suis paysan à Ilos. J'avais entendu dire qu'une récompense serait octroyée à quiconque donnerait des renseignements permettant de retrouver la princesse Edwyna. Il se fait que je l'ai moi-même conduite dans la cabane d'un Elfe de la forêt de Nooren.

   - Que dis-tu manant ? Ne te moques pas de moi... Comment sais-tu qu'il s'agissait de la princesse ?!

   - En fait, c'était la dénommée Roswyn, fille des paysans Jeanjean et Manon. Tout le monde sait actuellement que cette Roswyn et Edwyna ne sont qu'une seule et même personne.

   Rageusement, le capitaine Hubert répondit :

   - Et cette femme est la soeur du traître Bertrand qui m'a ignominieusement trompé lors d'une mission que je lui avait confiée !

   Irrité par cette interruption, Norbert de Roncenoir intervint brusquement :

   - Continue manant... Et quand cela s'est-il passé ? Serait-elle toujours cachée là-bas ?

   - Je ne sais pas, Votre Majesté ! Il y a déjà au moins un an que ce voyage a été fait, mais je me rappelle avoir reconduit le frère et la soeur à Ilos le lendemain matin. Quant-à-moi, je n'y suis jamais retourné depuis lors.

   Le duc resta un moment pensif puis s'adressant au capitaine, il lui dit :

   - Hubert, prends quelques hommes avec toi et rends-toi immédiatement dans la forêt de Nooren. Tu visiteras la demeure de l'Elfe, peut-être trouveras-tu un indice quelconque qui nous aidera à retrouver la princesse.

   Puis, s'adressant à Gunther, il dit :

   - Toi, tu les accompagnes, tu leur montreras le chemin !

   Norbert fit ensuite attendre le paysan à l'extérieur de la salle du trône puis demanda au capitaine :

   - A propos, as-tu des nouvelles d'Arethos ? Les frères et les soeurs de ce... Bertrand sont-ils bien arrivés en Ombrie ?

   - Oui, Votre Majesté. Ils ont déjà rejoints le château de Zylniel et sont désormais au service de la reine.

   - Voilà donc une excellente nouvelle, répondit Norbert. Maintenant va, et ramènes-moi cette Edwyna vivante ici si tu la retrouves !

   Un peu plus tard, un homme encapuchonné, vit des cavaliers en armes accompagnés du paysan Gunther, sortir du château et se diriger vers la Porte de l'Ouest. Cet homme n'était autre que Aron, l'ami de jeanjean et Manon, qu'Aldebert, l'ex-bailli d'Ilos, avait envoyé comme espion à Ethyria. Il enfourcha le cheval qu'il tenait par la bride et se mit à suivre la petite troupe à bonne distance.

   Arrivés au-devant de la clairière où se dressait la demeure d'Aethelwyn, les cavaliers mirent pied-à-terre et s'avancèrent en silence vers la cabane. Hubert fit encercler celle-ci par ses hommes puis, sur son ordre, deux d'entre-eux enfoncèrent la porte qui n'opposa guère de résistance. Suivi de deux soldats, le capitaine entra dans la demeure et se mit à la fouiller de fond en comble. Hubert montra très vite quelques signes de satisfaction car là, il retrouva un châle de soie et quelques menues affaires ayant appartenu à la jeune fille.

   Quelques instants plus tard, Gunther conduisit les hommes du duc dans le petit cabanon où il avait passé la nuit. L'endroit fut également retourné et bientôt, deux cibles pour tir-à-l'arc, marquées par de nombreuses traces d'impacts, furent également extraites de la petite dépendance.

   - La princesse a bien passé un certain temps ici, se dit Hubert. Cependant ceci ne m'avance guère car rien n'indique où pourrait-elle se trouver aujourd'hui ?!

   Réfléchissant encore quelques instant, le capitaine porta bientôt sa main à la tête et s'exprimant bien haut, à la grande surprise de ses hommes et de Gunther, il s'écria :

   - Mais bien sûr... Suis-je bête... Le druide a également disparu... Je pense savoir où nous la trouverons !

   Pendant un instant, Hubert eut l'idée de faire mettre le feu à la cabane mais très vite il se ravisa.

   - Non, se dit-il, je la ferai surveiller de près. On ne sait jamais si l'un ou l'autre de nos ennemis avait dans l'idée de revenir ici !

 

*   *   *

 

   Provenant de Cinaxa, un navire marchand s'apprêtait à accoster le long d'un embarcadère du port de Suthéria. A l'intérieur d'une des cales du bateau, deux personnages parlaient de manière amicale :

   - Je ne vous remercierai jamais assez de m'avoir aidé à fuir le palais. Je me demandais comment allais-je pouvoir me sortir de cette situation ? Que la déesse Ellen vous bénisse pour cette action que je n'oublierai pas !

   - Après avoir fait votre connaissance, j'ai compris que vous étiez retenu contre votre volonté et je reconnais en vous un homme bon. J'espère que vous pourrez retrouver votre tribu sain et sauf et puisque Ethyria est devenue une ville dangereuse pour votre intégrité physique, prenez garde à vous et tâchez d'éviter les soldats dans les rues.

   - Je vous remercie de votre sollicitude, mais vous-même, vous êtes toute jeune encore et ressemblez beaucoup à ma protégée qui comme vous est humaine, que venez-vous faire à Ethyria, si je ne suis pas indiscret ?

   - Non, pas du tout. Mon père m'envoie auprès du duc pour négocier l'achat de citernes d'eau potable à ramener à Cinaxa.

   - Ainsi vous allez rencontrer le duc de Roncenoir ? Vous me semblez bien frêle pour affronter cet homme. En tout cas, faites attention à vous, cet homme est capable des pires vilenies.

   - Merci, je resterai sur mes gardes. Mais je crois que le navire accoste, nous allons devoir nous séparer. Attendez que le trésorier Gaëtan ait quitté le bateau avant d'en sortir vous-même, il ne faut surtout pas qu'il sache que vous étiez du voyage, mon père ne me ferait plus du tout confiance et me ferait certainement enfermer.

   Quelques instants plus tard, le personnage sortait précautionneusement du navire et s'engouffrait rapidement dans les étroites ruelles du port.  Un homme qui l'avait remarqué depuis un petit moment le suivit jusqu'à un endroit très peu mouvementé et lui frappa doucement sur l'épaule. Le personnage se retourna et, reconnaissant l'homme qui l'avait accosté, s'écria :

   - Aron ?!

   - Oui, c'est bien moi. Mais toi-même Aethelwyn... D'où sors-tu comme cela, tout le monde te croyait mort !?

   - Ah, mon cher Aron, c'est toute une histoire... J'en parlerai plus tard. Le principal est que je me suis sorti d'une situation plus que déplaisante. Je regrette simplement ne pas avoir pu ramener mon bâton de feu qui m'a été remis à la Tour Blanche. Enfin, il en reste un plan que j'ai caché dans l'île et qu'il me faudra récupérer, mais en attendant, je vais retourner dans la forêt de Nooren où je dois prendre quelques affaires avant de rejoindre la tribu des Sedes-odaï.

   A ces paroles, Aron répondit d'un air inquiet :

   - Je te le déconseille fortement, ami. Le capitaine Hubert s'est rendu à ta demeure avec une petite troupe et il est certain que maintenant il la fera surveiller de près. Autre chose, évite de parler à Gunther, ton ancienne connaissance d'Ilos, car il est devenu un espion du faux-roi. Si tu l'aperçois, change de direction afin qu'il ne te reconnaisse pas. De toute façon je vais t'aider à quitter Ethyria pour que tu puisses rentrer cher toi sans problème. En attendant, je ne te quitte pas, la ville est devenue trop dangereuse pour toi !

 

 

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