Le duc de Roncenoir venait d'annoncer son choix dans tout le royaume. Il avait demandé la main de la belle Eleonor, fille du gouverneur Gildric de Cinaxa, capitale de l'île de Phaéton. La jeune fille avait accepté d'épouser Norbert et celui-ci n'avait pas attendu pour faire connaître sa grande joie dans tout le pays.

   Si, dans son île, Gildric jubilait à cette annonce que lui avait faite sa fille à son retour d'Ethyria, il n'en allait pas de même pour les haut-dignitaires de certaines villes. Le personnage le plus en colère était incontestablement Willibert, le gouverneur de Sybaris, qui se sentait trahi, sa femme Rosemonde n'omettant pas de le lui rappeler depuis deux jours.

   - Et le duc se dit ton ami... Toi, son plus fidèle allié... Comment a-t-il osé ? Il n'y a pas si longtemps encore il te disait qu'il ne savait qui choisir de nos filles Théodora et Alix ?!

   - Et que veux-tu que j'y fasse, répondait le gouverneur à son épouse. Nous étions invités à sa table et j'ai cru comme beaucoup de monde lors de cette réception d'ailleurs, qu'il s'agissait d'une grande marque d'amitié et d'affection à notre égard. J'ai dès lors pensé que son choix se porterait sur l'une de nos deux filles !

   - Et qui est cette Eleonor de Cinaxa qui était également invitée à sa table ? Une Phaétonienne... Elle n'est même pas née dans le royaume... C'est une étrangère, et elle va devenir la reine de Meruvia, répondait dame Rosemonde hors d'elle-même.

   - Laisse-moi tranquille avec tes jérémiades, femme... Il est vrai que nous sommes très déçus et que nous nous sentons trahis mais je te jure par Nélos que je me vengerai... Dès cet instant, je ne me hâterai plus d'apporter aide et assistance à Ethyria si Norbert le demande, crois moi !

   Pendant que Sybaris pleurait, à Cinaxa, le gouverneur Gildric s'entretenait avec Hildebald, le général de ses armées et lui tapotait amicalement le dos.

   - Ah mon ami, quelle bonne idée tu as eue là de me faire nommer ma fille ambassadrice auprès d'Ethyria... Toi et moi nous nous doutions de l'intérêt certain que le duc de Roncenoir porterait à Eleonor et maintenant elle va devenir reine de Meruvia... tu te rends compte général... REINE de Meruvia ?! Eleonor m'a assurée que Norbert allait venir ici même pour me demander sa main... Ah ah, pour l'instant je me sens supérieur au duc lui-même et je m'enorgueillis de cette situation !

   A ce moment, Isembert, le Grand Mage de Cinaxa se fit annoncer dans l'appartement du gouverneur et lui présenta ses félicitations.

   - J'ai toujours pensé que cette jeune fille aurait un grand avenir, dit-il a Gildric. Non seulement elle est très jolie mais surtout, elle brille par son intelligence et par son mariage avec le maître de Meruvia, elle donnera un nouvel essor à Phaéton, j'en suis certain.

   - Et bien, je me réjouis déjà de tout cela, mais ceci n'est que le prélude à la suite du projet que j'ambitionne, répondit le gouverneur de Cinaxa. Puis, s'adressant à Hildebald, lui demanda :

   - Dis-moi général, où en sont les travaux de construction de notre flotte dans les criques du sud de l'île ?

   - Tout les échafaudages sont en place, gouverneur, nous avons commencé la construction de trois navires de guerre dans la Crique du Lion et deux autres dans la Crique de l'Aigle. Une cinquantaine de charpentiers travaillent sur ces chantiers. 

   Se tournant vers Gildric, Isembert lui demanda :

   - Pourquoi constituer cette nouvelle flotte, maintenant que tu sais qu'Eleonor deviendra la reine de Meruvia par son mariage, il y a là quelque chose qui m'échappe ?     

   - Ah ah, s'exclama le gouverneur, oui, ma fille sera reine à Ethyria, mais pour un temps seulement car son futur mari ne régnera plus très longtemps par la suite !

   A ces propos, le genéral Hildebald se mit à rire tandis que le Grand Mage continuait à fixer Gildric d'un regard tout étonné.

   - Que veux-tu dire, je ne comprends pas ?!

   - Hildebald est au fait de mes projets, expliqua le gouverneur. Mais tu es en droit de les connaître également car tu es un ami fidèle. Sache que lorsque nous aurons construit une flotte très puissante, je la lancerai sur le port de Suthéria, d'où nous pourrons lancer notre attaque sur la capitale. Une fois le duc battu, c'est moi Gildric, qui deviendrai le ROI de Meruvia. Sache néanmoins que j'aurai grandement besoin de tes mages de guerre pour mener à bien ce projet. Je te conseille donc vivement d'accélérer la mise au point des nouveaux bâtons de feu dont le plus récent exemplaire a été créé par les mages de la Tour Blanche.

   - A ce propos, ajouta Hildebald, je pense que nous avons été bernés par ce druide, cet Aethelwyn, qui s'est enfuit de façon si mystérieuse du cachot où il était enfermé ?! Il est impossible qu'il n'ait pas ramené de la Tour Blanche le plan de cette arme. Nous aurions dû le mettre à la question plutôt que lui proposer de travailler dans les laboratoires d'Isembert !Il m'est cependant venu une idée récemment. Si le druide avait un plan avec lui il aura dû s'en débarrasser ou le cacher lors de son enlèvement par les contrebandiers.

   A ce moment, le gouverneur perdit patience et s'exclama :

   - Et pourquoi n'a-t-on pas retrouvé celui ou ceux qui ont aidés le druide à s'enfuir ?! J'exige que l'on poursuive cette enquête et que l'on m'amène les responsables ici dans ce palais ! Autre chose Hildebald, te souviens-tu de l'endroit où cet Elfe a-t-il été enlevé par nos hommes ? Nous n'avons pas de temps à perdre, il faut partir à la recherche de ce parchemin et s'il existe, le ramener immédiatement à Isembert pour qu'il puisse l'étudier !

   Quelque peu confus, le général déclara :

   - Je ne sais pas où le druide a été enlevé, il s'agit là d'une question à poser au chef de la bande qui a mené cette opération mais il n'est pas à Cinaxa pour l'instant. Lui et ses hommes sont partis vérifier l'embarquement d'une cargaison d'orphia au sud de Naxos, et cela mettra quelques jours avant que l'on ne puisse entrer en contact avec lui.

   - Et bien qu'on le rappelle sur le champ dans la capitale, répondit Gildric tout irrité. Nous n'avons pas de temps à perdre pour nous lancer à la recherche de ce précieux plan s'il existe. D'autre part, qui te dit que le druide n'a pas déjà retrouvé ou envoyé quelqu'un pour rechercher, ce précieux document, s'il existe ? Je VEUX ces nouveaux bâtons de feu à la disposition des mages de guerre de notre armée. A ce moment seulement, nous serons en position de force pour faire chuter Norbert de Roncenoir !

   Au même moment, dans les appartements d'Eleonor, Marguerite, la gouvernante de la jeune fille, l'entretenait sur les résultats de sa mission à Ethyria.

   - S'il est vrai que vous avez parfaitement mené cette transaction commerciale auprès du duc, je suis néanmoins tout étonnée que vous ayez accepté sa demande en mariage ?! Je vous avais cependant mise en garde sur la dangerosité de cet homme... Je ne vois réellement pas ce qu'il pourrait apporter à Phaéton, seul Meruvia l'intéresse !

   - Il n'est peut-être pas très intéressé par le développement de notre île mais moi si, répondit Eleonor. Le titre de reine me permettra d'apporter du bien-être aux trop nombreux malheureux que notre sol abrite.

   Peu convaincue, Marguerite ajouta :

   - Pardonnez moi d'en douter ! Encore faudra-t-il pour cela que le duc vous permette de vous occuper des affaires de Phaéton ! D'autre part, votre père m'inquiète... Pourquoi, depuis son accession au gouvernorat de Cinaxa, ne s'est-il pas lui-même plus engagé vis-à-vis de la population de notre île ? Et ne trouvez-vous pas curieuse cette nomination d'ambassadrice auprès d'Ethyria ? Vous connaissez votre père, il n'agit jamais sans arrière-pensée, j'ai peur que vous ne deveniez un jouet que l'on utilise selon certains intérêts et ce, autant de la part du duc que de celle du gouverneur de Cinaxa !

   - Tu t'inquiètes beaucoup trop, répondit la jeune fille. Tu sais bien que le plus souvent je n'en fais qu'à ma tête et pour te rassurer je t'avouerai que je vais autant me méfier de l'un comme de l'autre. Mais es-ce là tout ce que tu avais à m'entretenir ? N'as-tu point d'autre nouvelle à m'annoncer ?

   - Excusez-moi Eleonor. Vous savez que depuis la mort de votre mère je me suis attachée à vous et ai toujours essayé de vous donner les meilleurs conseils. Vous êtes devenue une jeune fille remarquable mais que je trouve quelque peu naïve et prête à vous faire tromper par n'importe qui, fusse-t-il de votre propre famille. A ce sujet j'ai hésité à vous remettre un message provenant de la Forêt des Blanpeaux mais je ne puis me résoudre à vous cacher quoi que ce soit.

   - De quel message parles-tu ? S'il y a des informations que je dois connaître, je t'ordonne de me le dire sur le champ !

   A contrecoeur, la gouvernante sorti un pli de sa robe et le remit à la jeune fille. Celle-ci, le décacheta rapidement en jetant un regard courroucé à Marguerite, se mit à lire rapidement.

 

               Madame,

            Par la présente je me permets de vous réitérer à nouveau mes remerciements sincères    
          pour l'aide que vous m'avez apportée lors de mon séjour forcé à Cinaxa.

            A l'époque, je vous avais parlé d'une recherche que vous pourriez m'aider à réaliser.
          Il s'agit d'oeuvrer afin d'essayer de préserver nos pays respectifs d'une guerre qui ne  
          pourrait qu'être mort et désolation pour tous nos peuples. Connaissant votre sagesse et   
          votre grand désir de paix, je sais que vous n'hésiterez pas à agir en conséquence.

            Ayant appris votre futur mariage avec Norbert de Roncenoir, j'espère que trouverez le
          temps de m'aider avant votre installation à Ethyria. 

            Je vais vous dépêcher un jeune homme en qui j'ai toute confiance et sur lequel vous   
          pourrez également vous reposer afin de réaliser la quête pour laquelle j'ai besoin de votre
          aide. Il vous donnera également de précieux renseignements sur les agissements 
          monstrueux du maître d'Ethyria.

          Je reste votre dévoué et sincère ami,

               Aethelwyn.

 

   Sans dire un mot à Marguerite, Elenor s'approcha d'un petit récipient de grès dans lequel brûlait une huile odorante et y jeta le parchemin en attendant qu'il fût entièrement consumé.

 


*   *   *

 

   Aussitôt rentré de Sirgonia, Bertrand, encore tout heureux des derniers événements qu'il venait de vivre, s'apprêtait à se rendre en premier lieu chez Manon afin de lui rapporter les entretiens qu'il avait eus avec le le gouverneur Theodorus lorsqu'il fut arrêté par un groupe de soldats de la garde du général Eudes. N'opposant aucune résistance, le jeune homme fut immédiatement conduit au palais du gouverneur Clodomir qui le reçu en présence du commandant de l'armée.

   En premier, le gouverneur prit la parole :

   - Je vois que tu oses te représenter ici à Ixos après l'interdiction formelle, de te rendre à Sirgonia que t'a signifiée le général Eudes ici présent ?!

   - Je t'ai dit ce qui t'attendrait si tu outre-passais mes ordres, dit alors le général. Et bien que ce que tu aurais à me dire pour ta défense n'aurait aucun effet sur ma décision de te chasser de l'armée, je suis quand-même curieux de connaître tous les dégâts que tu auras provoqués chez nos alliés ?!

   Regardant le général sans baisser les yeux, Bertrand dit alors d'une voix assurée :

   - Je sais que j'ai désobéi aux ordres reçus et que je dois être puni pour cela. Je dois cependant vous informer que je n'ai commis aucun dégât qui aurait pu compromettre l'alliance entre nos deux cités. J'ai au contraire, eu l'opportunité de sauver la vie du gouverneur Theodorus ainsi que de sa famille alors qu'ils étaient attaqués par des bandits au sud de Sirgonia. Le gouverneur en fut tellement satisfait qu'il s'est dit redevable envers moi et m'a donné ce message à remettre en mains propres au général Eudes.

   Tout abasourdis d'entendre ces paroles, le gouverneur et le général se regardèrent d'un air étonné puis Eudes tendit la main et dit :

   - Donne-moi ce pli !

   Bertrand sortit alors un petit parchemin d'un sac qu'il portait en bandoulière et le tendit à Eudes. Après une lecture rapide, un petit sourire éclaira le visage du général puis il donna le message à Clodomir, lui disant :

   Lisez vous-même, Excellence.

   Dès qu'il eu fini sa lecture, le gouverneur tout excité, s'écria :

   - Quoi ?! La reconnaissance par Sirgonia du général Eudes comme chef suprême des armées de l'Alliance du Nord ?! Enfin... voici le document que nous attendions depuis la mort du général Horace... Mais alors, dit-il en prenant Bertrand dans ses bras, tu es devenu un véritable héros ?!

   Un peu perdu, le fils de Manon essayait tant bien que mal de se soustraire à l'étreinte de Clodomir quand le général Eudes prit la parole et, très sérieusement, dit :

   - Il n'empêche que ce jeune homme a désobéi à mes ordres. Vous conviendrez excellence, que néanmoins, une sanction s'impose !

   S'écartant quelque peu de Bertrand, le gouverneur se tourna vers Eudes et répondit :

   - Vous avez tout-à-fait raison, général, un subalterne doit toujours obéir à son supérieur. Je vous laisse seul juge de la peine que vous infligerez à notre jeune ami.

   - Viens ici que je t'embrasse, idiot, dit alors Eudes à Bertrand. Ce que tu as apporté à Ixos mérite toute notre gratitude mais je t'avouerai que tu as eu une énorme chance... Si les choses s'étaient passées différemment, tu serais déjà en prison à l'heure actuelle !  

   Tout heureux de la réponse du général, Bertrand, soulagé, demanda :

   - Ainsi donc je ne serai pas puni pour m'être rendu à Sirgonia en dehors de votre assentiment ? Merci général, croyez en mon dévouement le plus total !  

   - Puni ? Non, répondit le général, mais j'ai une mission à te confier. J'ai reçu une demande d'aide du druide Aethelwyn de la tribu des Sedes-odaï que tu connais, et, comme nous devons ménager les Elfes, j'ai accepté. Voici un pli qui contient toutes les instructions que tu devras suivre à la lettre. En attendant, passe voir ta mère car elle te réclame mais pars aussitôt ensuite, cette mission semble être de première importance. Je te garde ma confiance pour la mener à bien. Maintenant va !

 

   Le matin du surlendemain, dans le port de Sybaris, un jeune matelot, qui errait sur les quais depuis une ou deux heures, se faisait engager par le capitaine d'un navire marchand en partance pour Cinaxa.

 

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