Debout, à quelques mètres de Roswyn, le Roi-sorcier faisait face à la jeune fille. Un peu en retrait derrière la fille de Manon, Elwyn regardait l'apparition, quelque peu effrayé. Sans animosité aucune, Maerwel leur dit :

   - Ne craignez rien de moi, je ne vous veux aucun mal.

   Puis, avec insistance, il fixa la jeune fille de son regard de braise et répéta les mots qu'il avait prononcés quelques instants plus tôt :

   - Je sais qui tu es et pourquoi tu es ici.

   Roswyn balbutia quelques mots :

   - Vous... Vous êtes...

   L'apparition acquiesça d'un signe de tête et dit : 

   - Je suis Maerwel, le Roi-sorcier, et toi tu es la princesse Edwyna. Tu es ici pour reprendre l'anneau de la déesse Ellen !

   - J'ai entendu parler de la légende qui entoure votre nom, répondit Roswyn, m'en empêcherez- vous ?!

   - La légende est bien réelle, mais tu n'en connais qu'une partie, je vais te révéler ce que tout être humain ignore. Quand Baal m'a enfermé ici, il m'a affirmé que jamais ne ne pourrais enlever l'anneau de mon doigt et que cela serait mon éternel supplice. Oh combien le maudit avait raison ! Chaque fois que ma main droite s'approchait du doigt où était glissé l'anneau, celle-ci était violemment repoussée par je ne sais quel magie. J'étais ainsi condamné à vivre pour toute l'éternité, enfermé dans ce tombeau et n'ayant plus que les rats et les scorpions à gouverner. Mes guerriers, tombés à la bataille des Landes Sombres contre les Elfes des bois furent transformés, d'abord en poussière,puis ressuscités sous forme de squelettes. Hélas, ils ne m'écoutaient plus, ils étaient devenus mes gardiens, n'obéissant plus qu'à Baal lui-même.

   Dès lors, j'ai prié Ellen chaque nuit, suppliant la déesse de me pardonner et de venir m'ôter l'anneau pendant mon sommeil afin de rompre la malédiction que m'infligea le dieu des Enfers.

   Une nuit, Ellen m'apparut en songe et, convaincue de mon repentir, elle m'assura qu'elle enverrait quelqu'un qui pourrait reprendre l'anneau. Oui, une jeune femme viendrait me délivrer de mon tourment et elle cita ton nom en disant que seule, la princesse Edwyna serait capable d'ôter le bijou de mon doigt.

   Voilà, quand tu mettras fin à la malédiction, je pourrai enfin mourir en paix et mon âme ira rejoindre celles de mes ancêtres. A ce moment, tous mes guerriers ici présents dans cet immense cimetière seront réduits en poussière à tout jamais mais je crains aussi que Baal ne se retourne contre toi et te poursuive de ses tourments. Il a d'ailleurs déjà commencé ! Mon frère Arethos, membre de la secte des Serviteurs du dieu des Enfers, détient tes frères et sœurs en son pouvoir et tu devrais au plus tôt les arracher de ses griffes si tu ne veux pas les perdre à tout jamais !

   - Non, ce n'est pas possible, s'écria Roswyn. Mes chers frères et sœurs... Au mains de la secte des Serviteurs de Baal... Que Nélos, dieu de la lumière prenne pitié d'eux... Mais dis- moi, sais-tu où sont-ils en ce moment ?!

   Elwyn s'approcha de son amie et dut la soutenir afin qu'elle ne tombe pas tant ses jambes tremblaient. Maerwel répondit :

   - Cela ne m'a pas été révélé. Je t'ai dit ce que je savais, à toi de les retrouver et les délivrer de ces monstres. Les dieux sont parfois cruels, tantôt ils te donnent les renseignements que tu cherches, tantôt ils te laissent peiner à chercher par toi-même. Mais si ton destin a été tracé par les dieux, alors garde confiance, tu viendras à bout de tes ennemis. Oteras-tu l'anneau de mon doigt, maintenant ?

   La fille de Manon, inquiète et désemparée, se tourna vers Elwyn. D'un signe de tête, celui-ci approuva la requête de Maerwel.

   - Avant que mes yeux ne se ferment à tout jamais, ajouta le Roi-sorcier, je dois vous dire que vous trouverez au fond de cette pièce un chemin très long, mais qui vous conduira directement à l'air libre en dehors du cimetière. Dès lors vous ne craindrez plus rien, vous ne rencontrerez aucun guerrier-squelette car ceux-ci auront disparu avec moi !

   Roswyn s'avança vers Maerwel. Délicatement, elle retira l'anneau qui se laissa ôter sans opposer la moindre résistance puis elle remit le bijou à Elwyn qui le rangea précieusement dans une poche de son sac.

   A cet instant, une porte de pierre dissimulée dans un mur au fond de la pièce s'ouvrit brusquement. Les deux jeunes gens se tournèrent en direction de l'endroit d'où le bruit avait été émis et reculèrent, saisis d'horreur à la vue d'une horde de scorpions au sternum triangulaire et de couleur jaune-paille, entrant dans le tombeau et se dirigeant rapidement vers eux. Maerwel leva sa main droite et la bande de buthidés s'évanouit aussitôt, laissant les deux amis complètement éberlués.

   - Allez, maintenant, leur dit le Roi-sorcier, et qu'Ellen vous protège à chacun de vos pas. 

   La fille de Manon, accompagnée d'Elwyn se dirigèrent alors vers la porte qui devait leur rendre la liberté et, arrivés près de celle-ci, ils se retournèrent une dernière fois pour voir Maerwel réintégrer sa sépulture. Presqu'aussitôt, une éclatante lumière de forme cylindrique s'éleva rapidement de la tombe et fut immédiatement suivie par un petit nuage de poussière noire qui flotta un moment sur la dernière demeure du Roi-sorcier avant de s'évaporer rapidement dans la pièce.

   - Allons, dit alors Elwyn à son amie, nous n'avons plus rien à faire ici, l'âme de Maerwel a rejoint ses ancêtres. Nous pouvons rentrer au village, maintenant.

 

*   *   *


   Ellawen finissait de préparer le repas du soir. Les chasseurs étaient rentrés au début de l'après midi et la chasse avait été fructueuse. Vingt-deux antilopes avaient été déposées sur la place du village des Sedes-odaï et les femmes étaient venues les découper et partager les morceaux entre les différentes familles.

   En entrant dans la chambre de Roswyn, la prêtresse vit que celle-ci était éveillée.

   - Et bien, je croyais que allais encore dormir toute cette nuit, n'as-tu donc pas faim ? Tu dors depuis hier soir sans interruption et tu n'as mangé qu'une seule fois depuis ton retour !

   - Je meurs de faim, au contraire, je m'habille de suite et je descends. Elwyn est-il déjà rentré?

   - Il est en bas et t'attend pour manger. En attendant, bois ce remède que j'ai de nouveau concocté pour apaiser ta blessure, je masserai encore ton pied ce soir et te ferai un nouveau pansement. D'ici deux ou trois jours ce ne sera plus qu'un mauvais souvenir.

   Le repas se prolongea tard dans la nuit. Les deux jeunes gens n'en finissaient pas de raconter leurs aventures à Ellawen qui écoutait leurs récits avec grand intérêt et avec fierté.

   Son fils Elwyn était devenu un homme, un véritable guerrier Elfe, et elle ne doutait plus que Roswyn, qu'elle considérait maintenant comme sa propre fille, ne soit l'Elue de la Prophétie. La jeune fille avait rapporté l'anneau d'Ellen, ce qui était déjà un exploit. Les deux autres artefacts, le collier et la couronne, seraient également ramenés à la déesse, Ellawen n'en doutait pas.

   La conversation s'égarait sur des sujets ordinaires lorsque Elwyn demanda soudain :

   - Et ton frère Aethelwyn ?! N'est-il pas encore rentré de l'île de Phaéton ? A-t-on reçu quelques rapports concernant ses travaux à la Tour Blanche ?

   - Non, et je suis étonnée, répondit la prêtresse, il m'avait promis de me donner de ses nouvelles tout au long de son voyage mais maintenant je m'inquiète, je n'ai rien reçu de tel jusqu'à présent.

   - Ces chercheurs sont tous semblables, lui dit Elwyn, un fois le nez dans leurs parchemins, ils oublient que le monde existe !

   - J'espère que c'est là, la seule raison de son silence, ajouta Roswyn.

   Puis, pensant à nouveau à ses frères et sœurs, elle se mit à fondre en larmes, bientôt réconfortée par son ami et la mère de celui-ci. Et, ayant appris par Ellawen que Bertrand se trouvait en sécurité à Ixos en compagnie de sa mère, la fille de Manon sécha ses larmes et supplia Elwyn de lui laisser rejoindre pour quelque temps sa famille dans la grande cité de l'Est.

   - Bien entendu, mais tu n'iras pas seule car je t'y accompagnerai, répondit le fils d'Ellawen, nous partirons d'ici dans quelques jours, dès que ta cheville sera tout-à-fait guérie.

   La sœur de Bertrand se jeta dans les bras d'Elwyn et tout heureuse, l'embrassa sur la joue puis, rougissante, retourna s'asseoir. Elle regarda le fils d'Ellawen. Avec une peau très blanche, de longs cheveux blonds et des yeux d'un bleu azur, Elwyn était réellement un très beau jeune homme. Soudain, elle comprit... Elwyn ne lui était pas indifférente, loin de là. En fait, elle venait de comprendre qu'elle était tout simplement amoureuse de lui et au fond d'elle-même elle savait qu'elle avait toujours aimé cet ami avec lequel elle avait déjà traversé tant de dangers. Le fils d'Ellawen, cependant, était un Elfe, et les Elfes avaient une espérance de vie oh combien supérieure à celle des humains... Cet amour était-il possible ? Il serait encore jeune quand la vieillesse se serait déjà emparée d'elle ! D'autre part, la noblesse d'Ethyria laisserait-elle monter un Elfe sur le trône de Meruvia pour autant qu'elle-même puisse y monter un jour ? Cela semblait peu probable. Toutes ces questions se bousculaient en même temps dans sa tête et elle ne pouvait hélas, répondre à aucune d'entre-elles. Cette réalité lui brisa soudainement le cœur et elle dut faire un gros effort pour ne pas se remettre à pleurer.

   La tirant de ses rêveries, Elwyn lui dit :

   - Allez, maintenant il est temps d'aller dormir, princesse, tu as encore besoin de prendre du repos avant notre départ pour Ixos.

   Princesse... Il l'avait déjà une fois appelée princesse...Oh combien elle aimait entendre ce mot sortir des lèvres de son compagnon...

 

*   *   *

 

   Dix jours plus tard, les deux jeunes gens faisaient leur entrée dans la cité d'Ixos. Il furent reçus par le gouverneur Clodomir qui, au fait du titre de future reine que portait Roswyn, s'inclina profondément devant elle. Après avoir parlé quelques instants avec celle-ci, il hélà un serviteur et lui demanda de conduire les voyageurs aux appartements de Manon. Celle-ci était en pleine conversation avec Elisabeth, Aldebert et Bertrand, quand les deux jeunes gens entrèrent, laissant tout le monde bouche bée.

   Manon se leva et courut vers sa fille, l'étreignant et l'embrassant sans réserve, bientôt suivie par Elisabeth et Bertrand, Aldebert s'inclinant respectueusement devant Roswyn. Tous firent ensuite la connaissance d'Elwyn qu'ils n'avaient encore jamais rencontré.

   Les questions fusèrent de toute part. Roswyn et son compagnon durent à nouveau raconter toutes leurs aventures et expliquer comment l'anneau avait été retrouvé. Quand vint le moment de réitérer les terribles révélations de Maerwel, Roswyn dut prendre sur elle afin de ne pas pleurer.

   Dès qu'elles surent que les enfant étaient tombés aux mains des Adorateurs de Baal, les deux femmes se mirent à gémir et à se lamenter jusqu'à ce que Bertrand intervienne :

   - Je demanderai au général Eudes de bien vouloir envoyer un espion dans chaque cité et dans chaque bourg de Meruvia. Je sais qu'il ne nous refusera pas cette requête, car malgré des aspects sévères, c'est un homme droit et juste. Ne pleurez plus mère, ni toi Elisabeth, nous ferons tout pour les retrouver le plus rapidement possible.

   Les deux femmes finirent par se calmer. Petit-à-petit, la conversation évolua vers des sujets plus politiques et notamment sur l'évolution de Alliance du Nord et en particulier sur les rapports entre Sirgonia et Ixos.

   Le bailli Aldebert, s'adressant à Roswyn lui dit :

   - Votre frère m'a grillé en ce qui concerne ma position à Ethyria mais je suis loin de lui en vouloir ! Je suis en effet très heureux d'avoir pu faire plus ample connaissance avec cette charmante Elisabeth !

   - Aldebert, vous êtes un coquin, lui répondit celle-ci, mais sachez que je ne vous en veux point d'avoir interdit à Bertrand de me porter secours, la politique a ses propres contraintes.

   Bertrand, qui était en train de sympathiser avec Elwyn, se retourna et répondit en riant :

   - Quand le bailli est arrivé à Ixos, ses yeux me jetaient un tel regard que j'ai cru qu'il allait me foudroyer séance tenante !

   - Bien, bien, tout cela est déjà de l'histoire ancienne, répondit Aldebert. A propos, où est donc passé notre ami Ethiolas ?

   - Il est parti rencontrer le général Eudes avec lequel il devait discuter de problèmes d'intendance avec Sirgonia.

   - Et où en est l'Alliance du Nord, actuellement, demanda Roswyn. J'espère que des révélations sur sa formation ne sont pas encore parvenues aux oreilles du duc ?

   - Pas à ma connaissance, répondit Bertrand. Si cela était, Norbert de Roncenoir aurait déjà pris des dispositions pour nous couper l'herbe sous le pied. Or, jusqu'à présent, nous n'avons aucune nouvelle d'Ethyria. A ce propos il nous faudrait bien un nouvel homme de confiance dans la capitale. Jusqu'à présent nous ne sommes jamais certains de la véracité des nouvelles qui arrivent d'Ethyria.

   - Et comment réagissent les autorités de Sirgonia ? Sont-elles de bonne composition envers Ixos ?

   - Cela reste à voir, ajouta le frère de Roswyn. A ce sujet, le général Eudes m'a confié une mission auprès du gouverneur Theodorus et du capitaine Aetius, il paraît que le général Horace n'aurait pas encore décidé de rejoindre l'Alliance.

   - Cet Horace n'est qu'un imbécile, répondit Aldebert. Je ne vois pas ce qui le retient, de toute manière ce n'est pas le duc qui lui fera de cadeau...

   - Je le saurai sans doute dès la semaine prochaine lors de mon séjour à Sirgonia, lui dit Bertrand. En attendant, nous allons fêter le retour de ma sœur chérie ainsi que notre rencontre avec son ami Elwyn. 

 

 

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